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L’histoire socioculturelle des Beembe du Congo aux XVIIIe et XXe siècles

par GéoAfriqueMédias.cg 27 Octobre 2022, 07:57 Culture et Arts

 

Résumé 

Cet article consacré aux Bembe du Congo étudie leur civilisation dans son versant spirituel. Les productions de l’esprit, renferment l’ensemble des réalisations de l’esprit de la société beembe. Il s’agit de l’ensemble des traits culturels qui caractérisent un groupe ethnique bien organisé. Les caractéristiques spirituelles, éthiques et culturelles concourent à donner à la société beembe une unité culturelle qui fait du kibeembe une aire de famille entre ses membres et les différentes composantes sociales. La production des œuvres de l’esprit dans la société bembe relève d’un héritage ancien. Elle constitue pour cette communauté un moyen d’affirmation identitaire et de construction de sa vision du monde.

Mots-clés

Beembe, mikisi, danse, littérature, sculpture,

Abstract        

This article deals with the study of the Beembe civilization in its spiritual side. The spirit’s productions contain all the achievements of the mind of the beembe society. Thi’s is the set of the cultural trains that characterize a well-organized ethnic group. The spiritual, ethical and cultural characteristics help to give beembe society a cultural unity which makes kibeembe a family area between its members and the different social components. The production of works of the mind in the beembe society is part of an ancient heritage. It constitutes for this community a means of asserting its identity and constructing its vision of the world.

Keywords: Beembe, mikisi, dance, littérature, sculpture.

Introduction 

Dans cet article nous nous engageons d’analyser la face culturelle de la société beembe du XVIIIe au début du XXe siècle. Les productions de l’esprit qui constituent un des éléments de la culture autochtone traduisent ici l’ensemble du système des croyances religieuses, la littérature, la danse, l’architecture de la danse, l’art et tout ce qui formalise l’identité culturelle beembe.

Nous examinons donc dans cet article, les croyances religieuses et la nature du rapport que les Beembe avaient depuis les temps anciens avec le monde de l’au-delà.  Avec cela, l’expression culturelle de leur mode de vie par la danse, l’étude de la littérature, et des arts plastiques, à travers lesquels nous cernons la sensibilité et le regard que les Beembe d’autrefois jetaient sur le monde qui les entourait. L’enjeu poursuivi dans cette contribution est celui de comprendre cette société, depuis le XVIIIe siècle jusqu’à la date où elle devient une possession française le 11 juillet 19111.

Leurs migrations et leur implantation sur le plateau qui porte leur nom remontent à plusieurs siècles. KongodiaNtotila est, selon les traditions kongos de la vallée du Niari, leur foyer originel le territoire beembe enjambe la Bouenza (cours d’eau) et le Niari supérieur (fleuve). Il s’encastre, au nord de la Bouenza, dans le territoire des Laale (un groupe ethnolinguistique); tandis que sur la  rive droite du Niari, il confine au territoire des Kaamba et des Doondo (deux autres groupes ethnolinguistiques du complexe ethnique kongo). Adossé aux Teke et aux Yaka qui, au nord et à l’ouest, forme un arc de cercle au tour d'eux.

Le pays est fait d’une multitude de rivières, grandes, moyennes et petites, auxquelles le relief tourmenté du territoire impose un régime torrentueux,  de sorte qu’il n’en est pas qui soient navigables sur de longues distances. Deux fleuves de régime tumultueux se détachent de l’ensemble du territoire: la Bouenza et le Niari, qui ne sont navigables que sur des biefs très courts, les pécheurs seuls s’y risquent.

Ce travail a des plus amples ambitions, entre autres, restituer le contexte culturel  et spirituel de la société beembe sur une longue période, en inventoriant et en interrogeant son système de  croyances. Il entend faire une lecture critique de l’ensemble des productions de l’esprit composé des systèmes de croyances et de pensée. En s’appuyant sur un certain nombre de documents, il se propose de répondre à la question suivante : comment la production des œuvres de l’esprit participe-t-elle à la compréhension de la vision du monde des Beembe ? Pour répondre à cette interrogation et pour compléter la documentation écrite disponible, un travail de collecte de données orales auprès des gardiens de la culture beembe a été fait sur la base d’un questionnaire. Les personnes interrogées ont été sélectionnées selon leur âge, leur statut social, leur lieu de résidence et, surtout, la maîtrise des questions intéressant leur objet d’étude.

Ce travail comprend quatre points, subdivisé chacun en plusieurs sous-points. Le premier de ces points est intitulé les croyances religieuses, c’est une description en quatre sous-points. Le deuxième point qui traite de la danse, est une étude abordée en deux sous-points. Le troisième point de ce travail examine la littérature, c’est effet, un développement transcrit en cinq sous-points. Le quatrième point qui étudie l’art, est une description rapportée en trois sous-points.

  1. Les croyances religieuses

Les Beembe croient en l’existence de forces cachées, apparemment privées de conscience et que, par les rites qui accompagnent, ils se mettent à leur service. Ces croyances religieuses sont organisées de façon traditionnelle, sans dogme et hiérarchie. Mais l’on note souvent l’existence des initiés ou prêtresses (chez les Beembe, dans le mukisis, par exemple, c’est toujours une femme) qui entre en contact avec ces forces au pied desquelles ils déposent des suppliques de la communauté. Parmi les croyances religieuses localisées dans la société beembe l’on compte les mikisi, le nkondi, le mukomo, le leembe ou maleembe.

  1. 1. Les mikisi beembe

Comme leur voisin de la région, les Beembe pratiquent une religion qu’on dirait naturelle, c’est-à-dire qui ne vient pas d’une révélation. Ils tissent et organisent un lien avec des forces supra-naturelles, répandues dans les profondeurs des eaux, les anfractuosités des rochers et tous les autres endroits de leur environnement naturel composé des forêts, des vallées, des ravins, des arbres géants, qu’ils estiment peu ordinaires. Dominique Ngoïe-Ngalla14, impressionné par la vogue du culte que l’on rend à ces forces supra-naturelles cachées se demande si elles sont douées de conscience ou non.

Les mikisi que la prêtresse invoque sont, en réalité, une sorte de providence bienveillante. Ils sont perçus comme des pourvoyeurs d’un certain nombre de biens sociaux comme la santé, la chance, la paix, l’harmonie et la réussite dans tout ce que les hommes entreprennent. Ces forces supra-naturelles font d’elles l’objet d’un culte assorti d’une célébration liturgique appelée siku ou kingomo16. Il s’agit d’une cérémonie au cours de laquelle la prêtresse, manganga donne la représentation symbolique d’un combat par lequel elle s’efforce d’arracher symboliquement à la divinité les biens que l’assistance attend. Le rituel du mukisi est sans rapport avec la tension qui traverse une séance de divination dont l’assistance attend du sorcier qui officie des révélations sur les causes d’une maladie ou l’auteur d’un décès17.

Les femmes seules sont prêtresses des mikisi, peut-être parce que ces mikisi sont des entités féminines, ou peut-être parce que la femme est le symbole même de la sécurité matérielle et psychologique. Avec elle, on est rassuré que les mikisi qui sont les gardiens du terroir et de la société seront bien gardés.   Pour que le mukisi accède à la demande des fidèles, rien d’autre à faire qu’une exécution rigoureuse des rites par la prêtresse. Les fidèles croient en ces divinités. Ils en jugent par les transes dans lesquelles se trouve prise la prêtresse à un moment de la célébration. Jean Félix Yekoka et Serge Rufin Kaya Bilala  ont réalisé une typologie de nkisi dans une étude consacrée au culte  et à la guérison féminine à travers le mukisi :

La terminologie mikisi suggère un foisonnement de variantes du même terme, avec des significations très proches les unes les autres : mukisi (ancêtre divinisé) ; nkisi ntsi (divinité ou génies de la terre) ; mukisi (interdit lié à un mal soigné) ; nkisi (fétiche). Ce dernier a la valeur d’un remède consacré à un devin et revêtu de divers produits magiques.18

 

La description du mikisi renvoie à une multiplicité des cultes et des rites. Lors du culte rituel, la transe, mayembu,  pour l’assistance le signe évident que la prêtresse appris contact avec la divinité ; que les deux sont maintenant dans une autre dimension de l’existence. Ces mikisi sont donnés, par la communauté tout entière, pour les meilleurs gardiens de la société. Dominique Ngoïe-Ngalla écrit à ce propos :

Intéressés au plus haut point à l’homme, les mikisi ont chacun une sphère particulière d’intervention sur le corps humain. C’est pourquoi, il y a autant de maladies que de mikisi spécialisés, tous travaillent à la sauvegarde de l’homme physique, un petit nombre veillant à sa santé morale : ainsi, le maleembe, le nkondi, le mukomo, le nsemu19.

 

En effet, il existe un grand nombre de Mikisi, considérés au premier niveau de sens de la tradition comme des croyances aux esprits allochtones ; ils sont au deuxième niveau de sens, pris pour des maladies d’origine mikisi et au troisième niveau de sens, ces mikisi sont en quelque sorte considérés comme des petites médecines dans la société beembe. Nous en avons inventorié quelques-uns donnés pour les principaux:

  • Bunzi, est un mukisi qui traite les maladies du même nom appelées en français, les rhumatismes ;
  • Kiba, un autre mukisi supposé efficace pour traitement des pathologies relevant de la pédiatrie ;
  • Lari, est aussi un mukisi dédié au traitement des maladies des riens (maux de reins), nommé par les Beembe lari ;
  • Luungu, comme pour les autres mikisi, il est spécialisé dans le traitement des fractures et des entorses ;
  • Mbumba, est un mukisi que l’on invoque pour soigner les affections digestives ;
  • Mpitu, est un mukisi spécialisé dans les traitements des allergies de toutes sortes;
  • Mpori, un mukisi qui s’occupe de l’extraction des corps étrangers dans le corps humain : écharde, balle de plomb. C’est  donc un mukisi spécialisé dans la petite chirurgie ;
  • Munkomono, celui-ci est le mukisi qui traite le mal de nuque ;
  • Muteke, comme pour munkomono, le muteke est un mukisi qui soigne des maux de tête aigu et chroniques ;
  • Mutsaatsi, est un autre mukisi beembe dédié aux traitements des angines et des rhums ;
  • Niambi, il est invoqué pour soigner les céphalées.

Ces mikisi sont à la fois désignés pour des maladies des allochtones et une sorte de médecine  dont le système se base s’appuie sur des croyances religieuses et sur des pratiques médicinales traditionnelles expérimentées dans cette société, mais prises pour des révélations. Aux mikisi proprement dit, s’ajoutent les systèmes des croyances relevant des sociétés ésotériques comme le nkondi, le mukomo et le leembe ou maleembe.

  1. 2. Le Nkondi

Arme dissuasive, le nkondi est représenté chez les Beembe sous la forme d’une inquiétante statuette bandée d’épingles, de clous, de lames qui matérialisent la volonté de vengeance du fidèle qui l’invoque à la suite d’un grave préjudice subi. Dans l’imaginaire collectif des Beembe, il fait partie des forces supra-naturelles les plus féroces. Le nkondi est une idole, considérée comme une divinité qu’on invoque puisqu’aux croyances autochtones, il peut tout pour la défense des intérêts des hommes. Il est en même temps une réponse aux besoins des hommes, pendant les périodes de crise. Il est une force défensive et protectrice, pour ceux qui l’invoquent, en temps de guerre. Le nkondi est un esprit violent dont le pouvoir destructeur est une arme dissuasive contre les voleurs et les sorciers. Cela suffit pour maintenir la société dans une  paix relative. Il existait deux types de nkondi : le premier était considéré comme une arme dissuasive,  le second était un fétiche à valeur d’un remède consacré par un devin (nganga) et revêtu de divers produits magiques qui donnait à la sculpture une allure inquiétante. Le nkondi est un élément du patrimoine culturel kongo, les Beembe comme les autres groupes dits kongo en sont les descendants et héritiers de ce patrimoine.

  1. 3. Le Mukomo

Le Mukomo figure en bonne place dans les croyances beembe. Il serait un autre moyen pour ramener l’ordre dans la société perturbée. Le mukomo assure la protection du village contre les mauvais esprits et les attaques maléfiques des hommes mal intentionnés ou des sorciers. Et lorsqu’on est poursuivi en justice, il  n’y a rien de mieux à faire, pour sortir blanchi, que de se placer sous la protection du mukomo. Le tout se présente sous la forme d’un ensemble de préparation à partir de diverses plantes qu’un devin place dans une poterie qu’on enfuit ensuite sous terre et qu’on exhume, en cas de danger menaçant un individu, ou un groupe d’individus.

Le mukomo semble une vieille institution magico religieuse, peut-être apparue au temps des violences de la traite négrière, qui déchaînèrent à grande échelle des activités de croyances sorcellaires et de sorcellerie. Invoqué dans les circonstances de grave crise et d’insécurité sociale, avait pour objectif de maintenir la cohésion au sein de la société ébranlée dans ses fondements par des idéologies et des pratiques qui bouleversent la coutume et les usages. Le mukomo qui généralement assure la protection de l’individu ou du groupe (lignage) contre des poursuites judiciaires ou les mauvaises intentions d’un tiers, est aussi pour ceux qui partent à la guerre, une sûre protection contre l’ennemi. On croyait même qu’il avait le pouvoir de rendre invisible, et même invulnérable, en situation de guerre. Comme les autres pratiques : le nkondi, le maleembe et les mikisi, le mukomo dut se terrer et fonctionner en clandestinité pendant la période coloniale et missionnaire, parce que considéré par les missionnaires comme une pratique obscure et diabolique.

  1. 4. Le leembe ou maleembe

Tout autre est le maleembe. Par la poursuite de la paix qui est son objectif principal, le maleembe n’a rien de la violence du nkondi décrit ci-dessus. Il est tout de douceur et sert à rétablir les équilibres psychologiques perturbés, non par des moyens violents, comme le nkondi, mais par les moyens pacifiques de la persuasion. C’est pourquoi cette société ésotérique porte le nom de maleembe dont le  large champ sémantique est dominé par la notion de douceur et de paix.

Le maleembe est une société ésotérique fermée, n’y accèdent que des sujets disposant de gros moyens de paiement, de sorte que les droits d’écolages sont élevés. Selon nos informateurs, les adeptes du maleembe mènent une existence austère et disciplinée. Ils ne perdent jamais de vue que le but de leur existence est la construction de la paix à l’intérieur de soi et autour de soi. Leur influence sociale est considérable. Le maleembe a généralement servi de fondement éthique au chef de village dont l’ensemble des villageois placés sous son contrôle attendaient un comportement exemplaire dans la gestion des affaires du village.

 

  1. La danse : typologie et architecture

Ces croyances et ces pratiques dont beaucoup sont terrifiantes, auraient pu faire des Beembe, des gens tristes. Il n’en est rien. Les Beembe sont un peuple exubérant, qui danse et chante beaucoup. Pour se divertir d’une existence rude et laborieuse, ils organisent en permanence des fêtes. La plus caractéristique du groupe est la fête des mikila.

2. 1. La typologie de la danse

Les Beembe ont connu plusieurs types de danses parmi lesquelles figurent : le balka, comme l’indique le terme français qui signifie se tourner ou se retourner, c’est un verbe d’origine koongo, qui veut dire baluka ou kubaluka. Il renvoie à une danse très acrobatique accompagnée des instruments telsque la guitare, ngonfi, les maracas, kisansi ou encore d’un instrument à lamelles au son très réduit, kinditi. Il y a le mumtuta ,du kikoongo tuta signifie singulièrement damer les pieds, il est exubérant comme le kiyani, à la différence que les seuls instruments utilisés en muntuta sont les maracas (mansakala) que les vedettes roulent autour de la taille, des épaules et des pieds. Cette danse fait figure d’exception, elle marque de son empreinte les différentes fêtes populaires beembe.

Ensuite, le kidilu, thrènes exprime un autre aspect ou type pratiqué chez les femmes beembe.

Le Mumpapa  quant à lui est une danse sacrée beembe, enveloppée de mystère. C’est une danse exécutée à l’occasion des cérémonies cultuelles du nganga mumpa (devin chargé de délivrer ou de soigner un malade).

Le Tsiwa par contre est une danse réservée aux grands hommes (les notables). Il est doté d’une tendresse qui légalise sa fonction d’être une danse réservée à la catégorie de la noblesse beembe. Les danseurs manifestent de la souplesse. Dans l’exécution de la chorégraphie de la danse, les nobles se passent les coudes, manzeke.

Dans cette société, le jour des fêtes, chaque habitant du village apporte des mets qu’on rassemble au mbongi et qu’on consomme en groupe. Les récolteurs de vin de palme, de leur côté, apportent toute leur production du jour. On fait bombance au milieu d’une danse endiablée, le célèbre kiyangi Après le repas du soir, chacun rentre chez soi avec, dans la tête, le rappel du chef de village à la solidarité et à la paix dans le village. Les chants célèbrent les travaux et  les jougs, les peines des hommes et des femmes, l’amour et la mort. Les jeunes filles et les jeunes femmes célèbrent volontiers l’élu de leurs cœurs dans des mélopées émouvantes.

  1. 2. L’architecture du rythme de la danse

La danse, makinu chez les Beembe est un autre genre littéraire, elle comprend un certain nombre de catégories réparties en fonction des objectifs poursuivis. Il peut s’agir des sujets de réjouissance, des rituels religieux et des rites funéraires. Il existe donc un certain nombre de styles et des danses : baal’ka, kiyangi, mututa ou soko, kinfuete, ngomo na mukonsi. Ces danses sont dominées par le kiyangi qui est une danse de réjouissance à la chorégraphie impressionnante qui place rangée des femmes et rangée d’hommes face à face.

De ces deux rangées d’hommes et des femmes, quelques hommes et quelques femmes se détachent à un moment. Ils forment des couples au milieu de la scène, s’en lacent puis se séparent pour rejoindre chacun sa rangée sous le crépitement endiablé du tam-tam et du tambour à fente. Le rythme des danses rituelles : religieuses ou funéraires se développent dans des mouvements amples et propices à la méditation. Dans tous les cas, la chorégraphie  et le rite qui en est le support sont réglés avec beaucoup de rigueur.

  1. La littérature

Dans le prolongement de la musique, la littérature, de bout à bout orales, les lettres sont constituées de contes, légendes, proverbes et mythes, dont certains sont répertoriés surtout l’aire culturelle koongo et même au-delà. Les Beembe se servent du contenu de la littérature enseigner pour moraliser et éduquer la société toute entière. Elle est riche par son contenu.

3. 1. Les contes et les légendes

Les contes et les légendes sont, généralement, des récits moralisateurs qui mettent en scène des animaux avec leurs mœurs. Du comportement de ces animaux mis en scène, les contes et les légendes beembe tirent des leçons pédagogiques pour l’éducation de la jeunesse. Ils essayent de transmettre aux jeunes les valeurs de la vie, et ont une fonction bien importante dans l’évolution psychologique en société. Ils permettent aussi à aider les jeunes à dépasser leurs  phobies et à leurs expliquer de façon très simple les choses de la vie.

Les contes et les légendes forment un corpus impressionnant dont il serait un jour intéressant d’analyser le contenu. Ils sont,  tout bruissant de la relation de l’homme à son environnement naturel et social, ou aux premiers occupants de cet environnement. Voici un conte recueilli et traduit par Dominique Ngoïe-Ngalla :

Le margouillat s’en fut un jour trouver son compère le chien. Il lui dit : heureux individu que tu es, toi qui chasses et peux manger à satiété de la viande. Le chien lui répondit : viens donc avec moi, mon cher, et vois. Ils allèrent à la chasse. Grosses prises. Au margouillat  monté dans un arbre, rien n’échappait, il voyait tout : la prouesse, le courage intrépide du chien, la ruse des hommes. Le soir, on regagna le village. Il y eut fête chez les chasseurs. Le chien, fidèle compagnon de l’homme, dit au margouillat : attends, reste où tu es ; je vais prendre ma part, mais surtout, sois attentif ; tu vas voir le beau morceau qui sera ! Le chien s’approcha respectueusement de son maître vénéré. L’homme lui rappelant qu’il n’était qu’un diable de chien, l’écarta vigoureusement et de sa sauce et de sa viande. Dans son coin où, connaissant les mœurs vulgaires de la race égoïste des hommes, l’animal rudoyé s’était résigné à attendre, le maître lui jeta, dans un élan de fausse sympathie, un os. Le margouillat fort troublé par la scène, écœuré des mœurs des hommes, abandonna à son sort son pitoyable   ami, et s’enfuit loin de leurs demeures. Depuis ce jour, il ne demanda plus de viande au chien, et se résigna à vivre de ses insectes29.

Dans ce conte émouvant, la leçon porte sur la générosité, une disposition de l’homme cultivé qui consiste à donner sans calcul, davantage lorsqu’il s’agit des proches et des  familiers, hommes ou animaux. Et le chien n’est-il pas le compagnon le plus fidèle de l’homme ? En tout cas, il avait fallu cette journée de chasse pour que le margouillat prenne conscience que, finalement, son sort n’était pas si malheureux que celui du chien. Plus loin, la leçon porte sur le devoir d’amitié. Le rapport d’amitié  oblige ceux qui y sont engagés à se rendre disponibles les uns à l’égard des autres. L’amitié est considérée chez les Beembe comme étant le souci permanent de l’autre. En effet, les Beembe ne vivent pas sans but, ils forment une société organisée, dans laquelle l’instruction et la formation des jeunes est le souci permanent au centre de leur société. Les relations entre individus liés  d’amitiés sont des rapports privilégiés, accompagnés de dignité, de respect des principes, des normes et des principes sociaux et juridiques qui forment l’humanisme beembe.

3. 2. Les mythes

Avec les contes et les légendes, les mythes font aussi partie de l’ensemble du corpus de la littérature beembe. Les mythes cosmogoniques racontent l’origine du monde. Ils disent comment les éléments constitutifs de l’univers s’étaient mis en place,  et le rôle de chacun d’eux. Voici un mythe cosmogonique recueilli et traduit par Dominique Ngoïe-Ngalla:

Nge-Turi ; Nzau-Turi, Bateru-Ba-Tatu (les trois-chasseurs) sont les héros d’un mythe cosmogonique. Interpelé par Dieu qui avait assigné à chaque créature sa place et son rôle dans l’univers, Ba-teru-Ba-Tatu, Gouverneur du mwanga (2e fraction de la saison des pluies) et du Ndolo (3e et dernière fraction de la saison des pluies) dit : je suis le grand éclaireur qui annonce les grands moments du cycle. C’est bien, dit Dieu. Puis, s’adressant à Nzau-Tur : Et toi ; lui demande Dieu, que sais-tu faire ? Je suis, expliqua Nzau-Tur, le seigneur de tout le cycle pluvial, puisque je le tiens en ses deux bouts : je parais, et viennent les pluies, je disparais, et plus de pluies (mi-octobre). Se tournant, enfin, vers Nge-Tur : Et toi, dit Dieu, que te reste-t-il àfaire, puisque, aussi bien, tes camarades occupent tous les postes ? C’est vrai, reconnut Nge-Tur, espiègle ; je suis presque au chômage. Mais il reste, vous vous en êtes sans doute rendu compte, une saison, la saison sèche ; elle est mon affaire ; c’est à moi qu’incombe le devoir d’en gérer le déroulement. Je me mets en poste tous les jours de ma saison, à la tombée de la nuit, bras en croix. Mais, reprit Dieu, comment saurai-je que c’est toi ? Jette, répondit l’astre, un coup d’œil, le soir, à partir de l’heure que je t’ai indiquée. Entre Bater-Ba-Tat et les Minkun-Nguba (les planteurs d’arachides) il n’y a personne d’autre que moi30.

Ce mythe cosmogonique a toutes les qualités du conte : l’imagination, la sensibilité mesurée, la netteté limpide d’une composition sobre du texte, la grâce légère. C’est que le mythe, cosmogonique ou non, est avant tout destiné à la formation de la sensibilité, autre forme de l’intelligence. Sagesse tout à fait terre à terre, sans autre ambition que d’orienter la conduite des hommes en société chaque jour qui passe. Les Beembe comme tous les descendants du grand groupe ethnolinguistique koongo, utilisent le mythe pour interpréter l’ensemble des phénomènes cosmiques et sociaux fondateurs de leur environnement. Le mythe explique et interprète les pratiques sociales fondatrices des valeurs fondamentales de la communauté. Il sert aussi à raconter leur passé glorieux et élogieux des Beembe. Le mythe tient une place socioculturelle privilégiée, il est  un vecteur de savoir, de sagesse, de tradition  de génération en génération. A côté des mythes servant à l’éducation de la jeunesse, les Beembe se servent aussi des proverbes qui constituent une gamme variée de la sagesse populaire dans leur société. 

3. 3. Les proverbes beembe

Les proverbes, mankuma sont entre autre, des formes de littérature dans lesquels les Beembe développent, dans un style généralement lapidaire, une pensée inspirée de l’observation du milieu et des hommes en société. Les proverbes, de style court et serré, on dirait des aphorismes, énoncent, en peu de mots, une vérité, mais une vérité d’ordre général. Leur rôle est pédagogique et didactique. Pour Dominique Ngoïe-Ngalla :

 

Ce qui frappe dans le proverbe c’est sa structure sémantique : le proverbe, fait un constat et dégage une norme. Mais pour instruire, le proverbe utilise des procédés pédagogiques qui tiennent en constant éveil l’attention. Il joue ainsi de l’analyse, de la métaphore et la métonymie.[1] 

 

En effet, les proverbes sont bâtis sur des figures de rhétorique à caractère idiomatique.  Du grand et inépuisant répertoire des proverbes beembe, nous en avons puisé cinq à titre d’exemple :

  • Mu ku kokomo mu teke benge, ba na ki wu kwata : Avant de te pencher sur un précipite (ravin), prends soin de t’aménager un point d’ancrage. Ce proverbe donne un conseil à toute personne qui se lance dans une entreprise risquée. Elle doit avoir la prudence d’assurer ses arrières.
  • Nuni yi vulula kipepe, lutiri dzanza : L’oiseau qui ne règle pas son vol, outrepasse bientôt son nid. Dans ce proverbe, il est question de l’échec de ceux qui, comme parfois l’oiseau, ne savent pas disposer rationnellement de leurs avantages.
  • Mutwilu ngulu wa lunda yaka : Qui élève des porcs fait des réserves de manioc.

Situé dans la même logique que les deux premiers, ce proverbe s’applique à tous ceux qui sont engagés dans l’élevage des porcs. Il révèle la nécessité, pour eux, de disposer d’une grande réserve de manioc, base de l’alimentation du porc. Il pose aussi la question de la relation de cause à effet, de rapport logique entre certaines situations. Il invite à la planification, à la prévoyance, à la prudence. 

  • Koso mba mu kidu, ka dzi tsiamuka : Tes noix de palme dans le mortier, dispose-les, comme il faut, de peur de les perdre dans la dispersion.

Ce proverbe invite toute personne engagée dans une affaire difficile à rester sur ses gardes, à éviter la dispersion toujours préjudiciable, et la démesure qui conduit à l’échec.

  • Mbesi yi vulula ku twa yi dii mfumu : Une lame de couteau tranchante plus qu’il ne faut, fait bientôt le malheur de son propriétaire (en le blessant). La leçon pédagogique a tiré dans ce proverbe est que celui-ci  part d’une situation humaine concrète pour s’élever à des considérations d’ordre général. Il appelle l’attention sur l’intérêt du respect de la mesure. La démesure entraînant, soit le ridicule et des dommages, physiques ou moraux, soit le ridicule et la désapprobation.

3. 4. Les devises

Dans la littérature beembe figurent aussi, en bonne place, les devises claniques. Celles-ci sont données dans une langue vigoureuse, brillante et imagée. En elles figurent des aspirations du groupe, son éthique dans la conduite et le comportement des humains en société. Chaque clan a sa divise. Dominique Ngoïe-Ngalla a écrit à ce propos que :   

Chaque kifumba, clan a, [en effet], sa devise. La devise fait le portrait moral du clan, définit les grandes lignes de son idéal. Chaque membre s’impose de le poursuivre. Aussi, tous les membres du clan se doivent-ils d’apprendre cette devise par cœur. S’efforcer d’en incarner les valeurs est une exigence.[2]

C’est la devise qui fait l’identité d’un groupe et son rappel. Voici quelques devises claniques inventoriées chez les Beembe et traduites par Dominique Ngoïe-Ngalla[3] et Georges Dupré[4]. La devise du clan basuundi : Musuundi wa mukakalata ngombo, wa laala ha yulu ntanga ma ta ; ka simbika dia bundzonzi, ka simbika dia buteru. La traduction faite par nos deux auteurs cités ci-dessus, nous donne : « Le seigneur suundi, revêtu de bravoure et de vaillance, il est couché sur un faisceau d’armes ; qu’il se lève, tel le tonnerre, il gronde ; qu’il se lève, c’est pour briller dans l’éloquence judiciaire ; et à la chasse, nul n’est adroit comme lui ».

Pour tous les descendants du clan suundi, les Suundi sont des seigneurs, des princes libres dotés d’une notoriété et d’une fierté d’appartenir à un clan dont ils ont la conscience de sa puissance et la place qu’il occupe au sein même du kibeembe. Tous les membres du clan  sont obligés d’apprendre par cœur la devise du clan. La devise des Suundi vente à la fois la bravoure de ce groupe clanique, leur vaillance ou leur courage, leur éloquence dans le domaine judiciaire.

La divise du clan mimbuundi : Me ngondo, yi yinga matutu ku kimbundi ; me ngundu ki wulu, mososo ku kaba mu mampiri ; me mampa ma kidikidi, ku ma kwe kubakpe. La traduction de celle-ci donne : « Je suis la nouvelle lune qui dissipe les nuages dans le ciel du kimbundi, je suis le champ du prodigue, pas de mesure à l’heure de la moisson. Et je suis l’étendue d’eau étalée qui ne sait vers où se diriger ». Ici aussi, les Mimbuundi comme les Basuundi, clament leur dignité, à partir de leur devise, la notoriété et l’étendue de leur renommée dans tout le pays beembe. Ils sont comparés une étendue d’eau dont la vue s’étale jusqu’à l‘infini.  Ils ventent en même temps la richesse du clan en homme comme en biens.

La devise du clan mibuunda : Munwani, ku nwanana kia ndemene, kia ngani ku nwananape. Ngomo luboto, ku kwanga, mpaka ku ba sokolo. Elle nous donne la traduction suivante : « Je suis l’intrépide armé de vaillance qui se bat pour la défense de son bien ; aucune convoitise pour celui du voisin. Et je suis le tam-tam taillé dans du bois de fer. On peut l’abattre, le problème est de l’évider » ! Peuple réputé et redoutable à la guerre, on les croirait si puissants et invincibles face aux adversaires. Les Mimbuunda utilisent la devise dans le domaine de la justice. Si un membre est accusé en justice, incapable de répondre à une question, il fait recours à la devise du clan pour s’identifier et pour se défendre,

La devise du clan mimfiku : Betu mimfiku na swasa betu sange malu mapa ma kuteke bakietu kusangape kusanga mfiku na nswasa. Traduit de la manière suivante : « Nous les Mimfiku (le vin de la veille) et le vin du jour, nous les mélangeons. Mais le vin et l’eau que vont chercher les femmes, nous ne les mélangeons pas. Nous mélangeons le vin de la veille et le vin du jour ».

Généralement, chaque devise dicte et règlemente la conduite des membres du clan. Ceux-ci ont l’obligation d’apprendre, de mémoriser et de connaître la devise de leur clan pour une éventuelle identification au sein de la société. C’est dans cette perspective même que s’inscrivent ces propos :

Dans les clans, pas de signes matériels tenant lieu de blason. Seulement une devise exprimant la règle de vie et de conduite du clan. D’abord, déclinaison de l’identité de l’individu, par rapport au groupe cognatique dont il relève, la devise est aussi un rappel des engagements pris par lui.[5]  

Par rapport au style, la devise chez les Beembe est un texte à tournure poétique, facile, de la sorte, à mémoriser par les membres du clan. Toutes les devises ne se ressemblent pas, n’atteignent pas le même niveau formel, dans l’expression du beau. Certaines ont davantage d’éclat et de panache que d’autres. Malgré la dispersion des clans sur l’ensemble du territoire du Kibeembe, la devise du clan reste partout la même. Elle fédère, au-delà de l’espace, la conscience des membres du clan dispersé. Dominique Ngoïe-Ngalla a écrit à ce propos :

L’appartenance à un même clan fixe à égalité les droits et devoirs de tous ses membres, grands et petits, hommes et femmes. Et peu importe alors qu’on vienne de chez les Bayari, de chez les Beembe dits de la forêt, de chez les Minkeenge qui jouissent auprès des Beembe de Mouyondzi de si peu de considération. On peut être Beembe d’ici ou d’ailleurs, riche ou pauvre, appartenant à un sous-ensemble jouissant d’une grande reconnaissance sociale, ou obscure. Ce sont là des contingences historiques ou sociologiques qui ne comptent pas. L’essentiel, c’est l’appartenance à un lignage et à un clan beembe. Et peu importante la  région du kinbeembe à laquelle vous appartenez [6]

Lorsqu’un membre d’un clan quelconque se retrouve éloigné du territoire du groupe, quel que soit le groupe de son appartenance, qu’il soit : Bayari ou Minkeenge, Beembe dits de la forêt ou de la savane, il a la chance de rencontrer un membre de son clan. Il se sent donc chez lui, libre et égaux en droit avec les propriétaires des lieux. A cette occasion, la considération des origines d’un membre d’un clan  beembe, d’un lieu à un autre, qu’il soit riche ou pauvre, petit ou grand, ne  compte pas, ce qui compte vraiment, c’est l’appartenance à un lignage et à un clan beembe.  

3. 5. Les thrènes ou pleurs, bidilu

.Après la danse, les thrènes, un genre majeur l’éloge du mort. De composition toujours rigoureuse, le texte du thrène est poignant. Les thrènes (bidilu au pluriel, kidilu au singulier) sont un autre aspect, un autre genre littéraire pratiqué dans l’univers culturel beembe. Les Beembe gardent un principe dans leur société, que tout le monde respecte. Il demeure une tradition dans cette société sous forme d’une tontine38 qui consiste à pleurer le parent de la voisine qui est venu pleurer le vôtre.

Le kidilu, lamentation funèbre, se distingue des autres pleurs par son caractère social qui en fait une spécialité de la culture beembe. Il est inséparable de la mort autour de laquelle il s’organise et qui le définit. Le kidilu commence avec le décès d’un proche et se termine, pour les sympathisants, avec les obsèques. Il est une activité exclusivement féminine. On attend des hommes qu’il s’organisent et encadrent les funérailles, que les Beembe veulent un moment exceptionnel d’effusion émotionnelle. Les thrènes chez les Beembe sont :

Evocation fleurie de la vie du mort. La langue est travaillée. Composition musicale à forte charge émotionnelle, le thrène est ordonné à intégrer le travail de deuil (processus psychique par lequel le sujet parvient progressivement à se détacher d’un être cher décédé). Il vaut par le tour éminemment poétique du texte et la grâce de la ligne mélodique39.

Mais les Beembe ne se contentent pas seulement de regretter et de pleurer leurs morts. Ils travaillent aussi dans la production des œuvres de l’esprit.

  1. L’art beembe

Les Beembe sont un ensemble social doué pour la poésie chantée. De cette sensibilité poétique des Beembe et leurs dispositions pour l’expression sensible des mots, des représentations visuelles et matérielles, on retrouve aussi dans les arts plastiques : la sculpture, les scarifications, la décoration des poteries et dans l’architecture du rythme de la chanson.

4.1. La sculpture

D’abord, activité artisanale, la sculpture beembe avait fini par s’épanouir en œuvre d’art. Et c’est à juste titre que des pièces de la sculpture beembe trônent dans les plus grands musées du monde, à côté de la sculpture pendé, tsokoué, yaaka, de la République démocratique du Congo. Au Congo, cette sculpture beembe rivalise avec la sculpture teke, punu et kota. Les personnages sculptés adoptent généralement des attitudes hiératiques, mais on trouve des pièces où l’élan et le mouvement sont visibles. Les personnages masculins sont typiques. Ils sont coiffés de ce casque grec qui leur donne cette allure martiale. Cette sensibilité poétique caresse les doigts de la potière qui cisèle le scrolles de gargoulette mayuku. Les Beembe sont donc un peuple d’artistes.

On doit pour tant dire que le souci esthétique fut tardif. Les statuettes qu’ils façonnent ou qu’ils fabriquent, sont avant tout, des habitacles des esprits des ancêtres. La fabrication des statuettes est donc une activité pragmatique et utilitaire dans cette société. Les Beembe furent pour la production des sculptures, un peuple d’artisans et plus tard d’artistes ou tout cela à la fois. Le grand nombre d’ateliers de sculpture que nous avons recensés est bien la preuve du dynamisme des Beembe dans ce secteur d’activités.

 

Carten°1 : La répartition des ateliers de sculpture

 

Sur cette carte sont inventoriés les villages dans lesquels l’activité des artistes ou des sculpteurs est parvenue jusqu’à nous, au moins dans la sculpture (des ustensiles de ménage comme) : la pétrie, le mortier, le pilon, la cuillère en bois ; les instruments de musique comme le ngonfi (guitare), le ngomo (tam-tam), le mukonsi (tam-tam à fonte), etc.40 Parmi les villages qui ont conservé des ateliers de sculpture, il y a Ntembélé, Nvouarou, Ndoungou, Kinkoula, Mpengui, etc.

4.2.Les scarifications

Pour dire leurs soucis du beau, de ce qui plait, les Beembe sculptent des statuettes, ornent de motifs décoratifs, leur production céramique, mais peignent aussi. Faute d’avoir inventé la toile, le corps devient le support de cette peinture41. L’abdomen est la partie du corps qui sert de support à cette peinture. Il s’agit, chez la femme beembe, des scarifications en forme de clous sur deux rangées parallèles tracées de haut en bas de chaque côté de l’abdomen. L’abdomen de l’homme aussi porte parfois des scarifications en relief, qui sont généralement des représentations d’animaux : caïmans, crocodiles, scorpions. Ces animaux sont chez les individus qui les portent, autant de symboles de leur force, à moins qu’ils ne fassent référence à leurs doubles totémiques (bibandi).

4.3. La décoration des poteries

Les Beembe utilisent comme support de leur représentation du réel, la surface des poteries à défauts de toile. Ils ornent des motifs décoratifs la surface de leur production céramique le colle particulièrement. La matière utilisée est les misoni, petites pierres des rivières moulues pour en obtenir une patte qui est mélangée à de l’huile de palme chauffé, nécessaire pour faire briller la surface décorée42. La surface des céramiques est a ainsi frappée des motifs géométriques ou des entrelacs de lignes : carré, cercle, croix renversée, traits parallèles  plus rarement des représentations d’animaux.

Conclusion 

L’ensemble de ces productions de l’esprit de la société beembe sont les traits culturels qui caractérisent ici un groupe ethnique bien structuré et organisé. Les caractéristiques sociales, éthiques, culturelles et celles liées aux croyances religieuses, concourent à donner à la société beembe une unité et comme un air de famille entre ses membres et ses différentes composantes sociales. Nous sommes là en face d’une communauté linguistique et culturelle qui, lorsque la colonisation française tombe sur elle à la fin du XIXe siècle, la trouve dans ses manifestations culturelles essentielles. Celle-ci a commencé à exister depuis les temps anciens, voir avant le débarquement portugais sur les côtes congolaises à la fin du XVe siècle, période au cours de laquelle le Kibembe se construit comme société à part entière, la faute de  Nimi Lukeni, il régnait le chaos et le désordre, s’il l’on croit la tradition orale qui circule encore aujourd’hui.

La société a certes, évolué, et été passée par des phases de mutations et de changements mais, pour l’essentiel, elle est restée stable dans les aspects spirituels. L’essentiel, c’est-à-dire l’ensemble des représentations du monde dont les Beembe tirent l’élaboration des codes sociaux et des grandes lignes de la logique de transformation de leur environnement.

Sources et références bibliographies

Sources orales

Nomsetprénoms

Fonction

Lieu et date de l’entretien

1

KAYA DIAMBOU

Chef de clan Minzobo

Nkayile11 juillet 2016

2

KAYA François

Danseur traditionnel

Pointe-Noire le 22 octobre 2017

3

KIKOUAMBI Pascal

Juge traditionnel

Loutété le 13 septembre 2017

4

KIYISSI Bernard

Chez de terre

Moutele le 15 août 2017

5

MABIALA Grégoire

Chef de village

Ntembele le 5 mai 2018

 

MABIKA Jérémie

Président des Sages

Mboumbou 2 le 9 juillet 2016

6

MAMPEMBE Véronique

Prêtresse du mukisi

Moutele le 15 août 2017

7

MBEROU Albert

Paysan

Ngamba (Yamba) le 7 août 2018

8

MFOULOU Catherine

Prêtresse du mukisi

Pointe-Noire le 23 octobre 2017

9

MOUTOULA Thérèse

Nganga (Devin)

Mfila, le 12 juillet 2018

Références bibliographies

BALANDIER Georges, 1955, Sociologie actuelle de l'Afrique noire. Dynamique des changements sociaux en Afrique centrale, Paris, PUF, Bibliothèque de la sociologie contemporaine, 510 p.

BALNDIER Georges, 1965, La vie quotidienne au royaume kongo du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, HACHETTE, 286 p.

BIDOUNGA Olivier, 2015, « Bisnsamu, contes et comptines kongo », Dans l’Autre, 2015/3 (vol 16), pp. 3352-360.

BOUQUET Armand, 1969, Féticheurs et médecines traditionnelles du Congo (Brazzaville), Paris, ORSTOM, 305 p.

DUPRE Georges, 1985, Les naissances d’une société chez les Beembe du Congo : Espace et Historicité. Paris, ORSTOM, 418 p. 

HAGENBUCHER-SACRIPANTI Fank, Santé et rédemption par les génies, Paris, ORSTOM, 305 p.    

ITOUA Joseph, 2011, Otwere et justice traditionnelle chez les Mbosi (Congo-Brazzaville), L’Harmattan, 25 p.

KALA NGOMA Benjamin, 1990, Les Beembe (Congo) XVIIIe–XIXe siècle : Esquisse des dynamiques d’intégration, de différenciation et d’individualisation d’une société lignagère. Paris I, Sorbonne, Thèse de doctorat du 3e cycle, 473 p.

KALA NGOMA Benjamin, 2008, Le kidilu Beembe : XVIIIe-XXe- siècle une sociabilité féminine intégratrice de premier plan. Nkayi, 38 p. (Inédit)

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KAYA BILALA Serge Rufin, 2021, « L’histoire des sociétés et des peuples du Congo précolonial dans les travaux de Dominique Ngoïe-Ngalla », Les Cahiers de l’IGRAC, n°19, juin 2021, p. 98-118.

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PEPPER Herbert, 1954, « Essai de définition d’une grammaire musicale noire d’après des notations empruntées à inventaire Babembe », Problèmes d’Afrique Centrale, Bruxelles, 4e trimestre  7e année, n°26, pp. 289-298. 

SODERBERG Bertille, 1975, « Les Figures d’ancêtre chez les Babeembe ». Arts d’Afrique Noire. Villiers Lebel, n°13, pp. 14-32.

STRENSTRÖM Oscar, 1999, Proverbes des bakongo, UPPSALA et Kimpese, 286 p.

TOMBA DIOGO Amevi Christie Cerena, 2015, Etude d’un genre de la littérature orale : la devise (kkûmù) chez les Punu du Gabon, thèse de doctorat, Université Sorbonne Paris, 247 p.

YEKOKA Jean  Félix et KAYA BILALA Serge Rufin, 2020, « Le mukisi en pays Kongo de la vallée du Niari (République du Congo) : du culte à la guérison féminine des corps malades du XVIIIe au XXe siècle », in Ethnomédecine et Ethnopsychiatrie en Afrique : enjeux et perspectives, Actes du colloque international pluridisciplinaire du 07 au 08 novembre 2019, Université Peleforo Gon Coulibaly de Korhogo-Côte d’Ivoire, Editions SYDO, p. 239-259.

Par Serge Rufin KAYA BILALA, Parcours type histoire, FLASH, Université Marien Ngouabi

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