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En Algérie, nouvelle démonstration de force contre le régime.

par GéoAfriqueMédias.cg 30 Mars 2019, 17:14 INTERNATIONAL

A Alger, les manifestants ont rangé le chef de l’armée parmi les figures du « système » à « dégager »

Par Ali Ezhar Publié hier à 15h51, mis à jour à 06h17

En Algérie, nouvelle démonstration de force contre le régime.
 

La foule manifeste pour demander le départ des dirigeants, à Alger, le 29 mars. RYAD KRAMDI / AFP

Elle est arrivée avec un balai et s’est mise à nettoyer la chaussée. « Ils sont en train de partir, ils sont en train de partir », raille cette vieille dame enroulée dans son haïk, un vêtement traditionnel, et un drapeau algérien, en comparant les mégots et la poussière qu’elle éparpille aux hommes politiques algériens. Autour d’elle, des jeunes éclatent de rire face à son spectacle improvisé. Un peu plus loin, on se prend en photo avec un personnage qui a revêtu le costume rayé du bagnard et qui porte autour du cou une carte d’Algérie enchaînée sur laquelle est écrit « libérez-nous ». A côté, une enfant, dans le bras de son père, s’est accroché au dos un bout de carton où l’on peut lire : « je veux grandir dans un pays moderne ».

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Vendredi 29 mars, sous un soleil cuisant, des centaines de milliers d’Algérois ont envahi le centre-ville de la capitale pour crier, sans s’essouffler, « dégage » au clan du président Abdelaziz Bouteflika, « dégage » au pouvoir en place et « dégage » au Front de libération nationale (FLN). Une foule immense et dense s’est étirée de la grande poste à la rue Didouche-Mourad. Impossible de faire quelques pas au milieu de cette masse vert et e sans être percuté ou compressé par les marcheurs.

Au-delà d’Alger, presque toutes les wilayas (préfectures) du pays ont été secouées par ces manifestations exceptionnelles rassemblant au total des millions d’Algériens même s’il n’existe aucun décompte officiel. « Si tu enlèves les grabataires, les nourrissons, les malades, j’en suis sûr, c’est la moitié du pays qui est sortie : 20 millions de personnes, ce n’est pas rien », s’amuse à dire Mahmoud, un quinquagénaire sans emploi.

Comme lui, personne ne voulait manquer ce nouveau vendredi de mobilisation et pour cause, « il faut continuer à mettre la pression sur le système qui est en train de se fissurer », résume Zineb, 26 ans, commerciale. Surtout après les récentes déclarations du général Ahmed Gaïd Salah, qui a demandé, mardi 26 mars, l’application de l’article 102 de la Constitution, prévoyant l’empêchement du chef de l’Etat pour incapacité à exercer ses fonctions. « C’est une énième combine du pouvoir », s’insurge Malik, 58 ans, venu en famille pour dire « que tout le monde s’en aille ».

« On ne va tout de même pas demander des solutions à des personnes qui sont la cause principale des problèmes »

Anis, 23 ans

La proposition du général n’a ni calmé ni rassuré la foule, bien au contraire. Cette manœuvre politique est perçue comme une tentative de plus pour sauver le régime en place et pour apaiser – pour ne pas dire briser – la contestation nationale. « Le peuple est encore sorti pour dire que nous comprenons votre ruse, mais nous n’allons rien céder, ajoute Zineb. Il n’est pas question d’enlever un pion pour en mettre un autre. Gaïd Salah et Bouteflika ont environ 80 ans, comme ma grand-mère qui passe ses journées à regarder la télé ou à s’occuper de ses petits-enfants même si elle a du mal à me reconnaître. Pourquoi ils veulent continuer à gouverner ? »

Face à l’armée, le peuple veut rester « vigilant et concentré ».L’immixtion du général dans le débat politique est perçue comme suspecte, beaucoup trop même. « Gaïd Salah fait parti de ce pouvoir, il a longtemps soutenu Boutef. On ne va tout de même pas demander des solutions à des personnes qui sont la cause principale des problèmes, argue Anis, 23 ans, étudiant en musique. Nous ne faisons aucune confiance aux représentants de l’Etat y compris Gaïd Salah. Nous sommes face à un pouvoir assassin qui peut à n’importe quel moment nous tirer dessus. » Personne ne souhaite que l’armée fasse un putsch et s’accapare le pouvoir. « Ce n’est pas ce que l’on veut, mais c’est un scénario possible », souffle Abderrahmen, un militant des droits de l’homme qui a participé au lancement, fin janvier, du collectif Jeunes engagés pour l’Algérie.

« Il faut que tout le système dégage »

Jusqu’à présent, Ahmed Gaïd Salah avait été épargné par le courroux des manifestants ; mais depuis sa sortie, il a réussi, à son insu, à vivifier davantage la mobilisation. « Cette marche, c’est la confirmation de la conscience politique des Algériens », se félicite Djamel, 38 ans. Le général est même devenu le sujet de nouveaux slogans : « Gaïd Salah, va profiter du repos éternel. Dégage, pour l’amour de Dieu » ; « Gaïd Salah, le peuple veut la démocratie, et non un régime militaire » ; « Gaïd Salah, honte à vous » ; « On ne veut pas un “Al-Sissi” en Algérie, le scénario égyptien ne se reproduira pas chez nous », pouvait-on lire sur les pancartes.

Et l’application de l’article 102 a été largement moquée et détournée par les manifestants avec un sarcasme détonant. « Le numéro 102 que vous avez composé n’est plus valable en 2019. Veuillez consulter son excellence le peuple », s’est amusée à écrire une jeune fille sur sa pancarte. Les marcheurs n’en veulent pas de cet article : ils exigent la démission immédiate du président Bouteflika et une transition qui puisse permettre l’organisation de nouvelles élections démocratiques. Ils réclament l’élaboration d’une autre Constitution et plaident pour une deuxième République qui prône « un Etat civil et pas un Etat islamique »« Mais avant cela, il faut que tout le système dégage », martèle Sofiane, venu exprès de Bouira en Kabylie.

Ils sont arrivés au pas de course ou en voitures militaires américaines en criant : « L’armée avec le peuple ! » Applaudis, enlacés, embrassés, d’anciens soldats, vêtus d’une veste et d’un béret militaires, viennent apporter leur soutien aux marcheurs et dire qu’ils aspirent, eux aussi, à vivre dans un pays libre. « Vous savez, ce n’est pas le terrorisme qui nous a touchés, mais c’est cette administration », assure l’un d’eux qui a quitté l’armée en 2008. A peine sa phrase terminée, sur un immeuble qui fait face à la place Maurice-Audin, un homme déploie un portrait géant du général Liamine Zéroual, l’ancien président de la République (1994-1999). La foule se met à hurler des « Non », « Enlève », « Dégage ». Puis, une voisine arrive d’un autre balcon et arrache le portrait : elle est ovationnée.

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Depuis plusieurs jours, le nom de M. Zéroual, 77 ans, est cité pour conduire une éventuelle transition. « Il serait utile à la tête du pays, il est honnête », assure l’ancien militaire. Un étudiant le reprend :« Non, c’est aussi un homme du pouvoir, c’est lui qui nous a amené Bouteflika. » La discussion s’arrête. Une partie de la jeunesse préfère réclamer à la tête du pays l’avocat Mustapha Bouchachi, ancien président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme.

« Pas de retour en arrière »

Ainsi, pour le sixième vendredi d’affilée, les Algériens ont choisi de répondre à l’armée en investissant massivement les rues du pays. « Pas de retour en arrière », répètent-ils régulièrement. Pas question aussi pour eux de se faire confisquer leur révolution. « Tous les discours politiques ne peuvent pas égaler ce que l’on voit dans les marches, souligne l’acteur Kader Affak, 49 ans. Chaque vendredi, il y a un dialogue entre le système et le peuple. Le peuple répond aux propositions du système. Mais tant qu’il n’aura pas reçu l’assurance d’un changement, il continuera à sortir. »

Lors de cette nouvelle marche, les drapeaux amazighs (berbères) ainsi que le visage de Lounès Matoub, icône de la musique kabyle assassinée en 1998, ont fleuri toute la journée. « Mais nous sommes une Algérie unie contre un système mafieux », insiste Ahmed, un jeune peintre en bâtiment. Pendant des heures, la foule n’a cessé de chanter son amour pour l’Algérie et pour la liberté. Les plus jeunes ont distribué des bouteilles d’eau, les anciens des tablettes de chocolat. Des anarchistes ont brandi leur fanion rouge et noir. Les vendeurs ambulants de drapeaux se sont multipliés et ont doublé les prix (de 200 à 400 dinars).

Même si la mobilisation s’est déroulée comme toujours dans une joie déroutante, certains manifestants ont durci leurs slogans et ont réclamé justice contre « les voleurs » du régime : « Le seul mandat que vous méritez, c’est un mandat d’arrêt » ; « Partir aujourd’hui, c’est mieux que d’être condamné demain » ; « Juges, qu’attendez-vous pour commencer à les mettre derrières les barreaux ? »

Lire aussi l’entretien : « Le régime algérien met en danger le pays pour se sauver »

La foule veut faire des rues d’Alger le cimetière du « système ». Elle n’attend qu’une seule chose : la mort du pouvoir. Et ce depuis six semaines maintenant. Elle veut aller au bout de sa révolution pacifique. Mais comme le souligne Smaïl Mehnana, professeur de philosophie à l’université de Constantine : « Pour que le système dégage, il faut que la révolution soit permanente, qu’elle se maintienne dans le temps pour quelle devienne le nouveau contrat social. »

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